#31 - Festival Quatre Chemins : l'art de rêver
Toute l'actualité haïtienne de la semaine : ouverture officielle de Quatre Chemins, la République dominicaine ferme les yeux sur les passages informels et reprise du conflit armé à Cité-Soleil
La 20e édition du Festival Quatre Chemins s'ouvre aujourd'hui à Port-au-Prince, marquant deux décennies de célébration artistique. Carrefour de créativité où théâtre, danse et musique se rencontrent, le Festival Quatre chemins promet une immersion dans l'imaginaire haïtien.
Tout ça et bien plus dans l’édition #31 de HAÏTI MAGAZINE par DÈYÈ MÒN ENFO, collectif de journalistes et de professionnel·les des médias basé·es en Haïti.
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Étienne Côté-Paluck
Sommaire #31
Passages informels : la République dominicaine ferme les yeux
Cité-Soleil : fragile équilibre rompu par de nouveaux combats
Ouverture officielle du Festival Quatre Chemins
Les préparatifs du Festival Quatre Chemins battent leur plein depuis deux semaines, culminant avant-hier avec une conférence de presse animée par Guy Régis Jr, directeur passionné du festival et récemment en résidence au Centre national des arts d’Ottawa. Déployé dans des lieux emblématiques de Port-au-Prince tels l’Institut français d’Haïti, le cabaret Yanvalou et le Centre d’art, le Festival lancé aujourd’hui officiellement embrasse cette année la thématique du rêve, invitant à une exploration des frontières entre l'art et la nation.
Invité d’honneur, le chorégraphe et danseur Jeanguy Saintus incarne l'esprit de cette édition : oser rêver et repousser les frontières de l'imaginaire.
AlterPresse | Haïti-Culture : La 20e édition du Festival 4 Chemins du 20 novembre au 2 décembre 2023 à Port-au-Prince
De nombreuses activités ont aussi été présentées en amont de l’ouverture du festival. Plus tôt la semaine dernière, la pièce Goebbels, juifs et footballer, écrite par Guy Regis Jr et interprétée par Kenny Laguerre, sous la direction de Rolando Etienne, avait déjà conquis le public à l’Institut français. Cette œuvre explore avec humour les idiosyncrasies culturelles haïtiennes.
L’unique personnage de la pièce, un jeune passionné de foutbòl, rigole sur les prénoms inusités qu’on retrouve parfois en Haïti. De Ti-Ronaldo pour l’amateur de sport à Lifètvrè [il est vraiment né] et Libonè [il est tôt], l’imagination semble débordante dans l’attribution de sobriquets. Espérons qu’une version créole sera montée un jour afin de rejoindre un public encore plus large.
Un spectacle de danse de la troupe Equality Dance à l’Institut français vendredi et des lectures publiques au Yanvalou ont également offerts une semaine riche en émotions et découvertes artistiques.
Festival Quatre Chemins : "Un lieu d'énergie par excellence" . Le Nouvelliste
Festival Quatre Chemins, pour une cohabitation du monde . Le Nouvelliste
Passages informels : la République dominicaine ferme les yeux
Plusieurs points sur la frontière entre Haïti et la République Dominicaine sont devenus de véritables carrefours d'activités informelles. Dans le département du Nord-Est, des marchés improvisés enjambent les deux pays, échappant au contrôle des autorités haïtiennes qui ont interdit le commerce transfrontalier.
Lors d'une opération conjointe jeudi dernier de la police nationale d’Haïti, de la douane, de la mairie, entre autres, ces autorités n’ont pu que constater la présence d’un marché informel en territoire dominicain ainsi que dans la zone neutre sans pouvoir intervenir directement. Des marchandises dominicaines ont bien été saisies en territoire haïtien mais les activités de ce nouveau marché informel n’ont pas pu être interrompues car situées hors de leur juridiction.
Ce phénomène transfrontalier s'intensifie littéralement sous les yeux des militaires dominicains. On a même observé jeudi un tracteur aménageant une route pour faciliter l'accès motorisé à ce marché informel.
« Ce sont les autorités dominicaines qui organisent ces marchés [informels] », a en outre affirmé ces derniers jours Harold Joseph, vice-délégué de l’arrondissement de Ouanaminthe.
Les maires du Nord-Est renforcent les mesures contre la contrebande des produits dominicains - Le National
Ayant fermé unilatéralement les passages transfrontaliers depuis le 15 septembre, le pays voisin a tout de même demandé leur réouverture pour le commerce seulement, mais les Haïtiens s’y refusent. Les autorités de Ouanaminthe demandent plutôt la mise en plance d’une négociation entre les deux pays préalablement à la réouverture de la frontière, ceci afin de résoudre les nombreux irritants que connaissent les personnes haïtiennes ou à la peau foncée en République dominicaine.
Au coeur du conflit, la construction du canal de Ouanaminthe se poursuit, bien qu’une partie du travail à la jonction avec la rivière Massacre soit en suspens. Selon le comité organisateur, un investissement additionnel de 800 000 dollars US serait nécessaire pour son parachèvement, en raison de la complexité du chantier. Malgré les visites de hauts fonctionnaires et les promesses sur place de trois ministres le mois dernier, l'aide concrète du gouvernement n’est toujours pas au rendez-vous.
Bien plus qu'une simple construction, ce canal incarne les aspirations et défis persistants des communautés haïtiennes.
Transformé en point de rencontre emblématique, ce chantier du Nord-Est attire quotidiennement des centaines de visiteurs et touristes de tous les coins d'Haïti, jouant ainsi un rôle unificateur au sein du pays.
Vidéoclip de la semaine
Bwa kale - Blaze One ft. I3larisner
Dans son dernier vidéoclip dévoilé samedi, le rappeur Blaze One s'identifie ouvertement au mouvement populaire d’autodéfense Bwa kale.
Le refrain de sa chanson du même nom, interprétée en duo avec I3larisner, dresse un portrait sombre : « Mon pays n’est pas en sécurité, il est scindé en deux : d'un côté, les bandits, de l'autre, Bwa kale ». Cette expression fait écho au mouvement populaire qui est apparu depuis avril, ciblant parfois brutalement des individus soupçonnés d'appartenir à des groupes criminels armés. La présence de pneus empilés derrière les deux artistes renforce ce message sans équivoque.
Blaze One ne mâche pas ses mots et étend sa critique à de nombreux secteurs de la société : « Des bourgeois, des politiciens, des médias, ceux qui ont trahi le pays, tous devraient subir le Bwa kale », assène-t-il, ne faisant aucune exception dans son appel à la justice populaire.
Cité-Soleil : le fragile équilibre rompu par d’intenses combats
La semaine dernière, Cité-Soleil a été le théâtre d'événements macabres. Le décès d'Iscar Andris, figure emblématique du collectif de groupes armés G9 a déclenché une série de fusillades intenses. Ces affrontements ont duré jusqu'à tard dans la nuit lundi et ont résonné dans toute la commune, marquant un regain de violence dans cette zone déjà éprouvée.
AlterPresse | Haïti-Criminalité : Remontée des tensions à Cité Soleil et ses environs après la mort d’un chef de gang
Le groupe armé rival du G9, sous la direction de Gabriel Jean-Pierre, semble en effet déterminé à reconquérir des quartiers de Cité-Soleil contrôlés par des alliés d’Andris, notamment dans les environs de Pierre-6.
SOS pou katye Pyèsis, Duvivier ak Fontèn nan Laplèn | Loop Haiti
Au milieu d’un quartier empreint d’affrontements, l'hôpital Fontaine, l’un des derniers centres de soins médicaux de la ville, a dû évacuer près d'une centaine de patients, y compris des nourrissons, en raison de la proximité des combats. Soutenue par la police avec des véhicules blindés, il s’est agi d’une opération rare dans un quartier souvent laissé pour compte depuis l’abandon du commissariat de police.
L’équipe de DÈYÈ MÒN ENFO s’était d’ailleurs rendue à l’hôpital Fontaine au printemps dernier pour produire un reportage présenté à PBS Newshour :
Cité Soleil : Évacuation subite d’un des derniers hôpitaux du bidonville - Ayibopost
Lundi dernier marquait aussi le cinquième anniversaire du funeste massacre de La Saline, durant lequel au moins 70 personnes ont perdu la vie, selon des organisations de défense des droits de la personne. En 2018, nos collaborateurs Jean Elie Fortiné, Sonson Thélusma et Étienne Côté-Paluck s'étaient rendus sur les lieux pour recueillir des témoignages de proches des victimes et ont attesté avoir vu de nombreux restes humains parmi les décombres fumants.
Le massacre de La Saline a été un moment charnière dans le conflit entre les groupes armés à Port-au-Prince, précédant de peu la formation de la coalition G9. Cette dernière a progressivement pris le contrôle de La Saline, forçant l'exode d’une grande partie de ses résidents. Aujourd'hui, elle exerce son emprise sur une large portion du territoire à la fois de Port-au-Prince et de Cité-Soleil.
« Trop longtemps en léthargie, la justice haïtienne doit sortir la tête de l'eau en vue d'accompagner la société haïtienne dans sa quête de justice et de justice sociale. Donner suite aux rapports de l'ULCC peut être un bon début. »
Extrait de La justice haïtienne face à l'histoire
Éditorial du Nouvelliste par Jean Pharès Jérôme (17 novembre 2023)
Depuis 2021, le G9 a ainsi réussi à isoler ses adversaires, regroupés autour de Gabriel Jean-Pierre dans le quartier côtier de Brooklyn [Brouklin].
Les habitants de ce secteur, le plus densément peuplé de Cité-Soleil, ont longtemps été coupés du monde. À l’automne dernier, les conditions de vie y étaient désastreuses, sans accès à l'eau potable ni à l'électricité. Ceci a conduit à l'apparition des premiers cas de choléra en Haïti depuis deux ans. Aujourd'hui, l'épidémie ressurgit dans plusieurs régions du pays.
Un vent d'espoir avait pourtant soufflé au début de l'été, suite à un cessez-le-feu entre les deux factions. Les résidents de Brooklyn pouvaient enfin circuler un peu plus librement. Beaucoup d’entre eux travaillent au centre-ville de Port-au-Prince, tout près.
Mais la reprise des combats, cette semaine signale la fin de cette trêve. D'une violence extrême, ces affrontements auraient fait de nombreux morts et des dizaines blessés. Il reste difficile cependant d'en dresser un bilan précis.
Plus de 100 morts a Cité Soleil selon un notable - METROPOLE
Plus d'un millier de personnes auraient été déplacées dernièrement suite à ces conflits, d'après un rapport récent de l'OIM et de la Protection civile haïtienne.
L'intensité des combats semble heureusement s'être atténuée depuis la fin de la semaine dernière.
Insécurité à Mariani et Cite Soleil Gaz : APCH et ANAPROSS tirent la sonnette d’alarme - L'exclusivité
Théâtre : Monologue du père aux Cayes
Le 11 novembre dernier, l'Alliance française des Cayes a accueilli une représentation émouvante du Monologue du père d’Andrise Pierre, interprétée par Seïde Dieunika et mise en scène par Eliezer Guérismé. Cette performance était présentée dans le cadre de la restitution d’une résidence artistique Vers le Sud.
Les lauréats de la résidence Vers le Sud sont connus . Le Nouvelliste
La pièce Le chêne endormi, dont est extrait ce monologue, sera présentée au Festival Quatre Chemins de Port-au-Prince ces mardi et mercredi. Fruit d’une collaboration entre le festival de théâtre En lisant et la Brigade d’intervention théâtrale (BIT HAÏTI), cette production met en lumière le talent de Stéphanie François dans le rôle principal. À la suite du décès inattendu du comédien Farid Sauvignon, victime d'une crise le mois dernier, c'est Edouard Baptiste qui prendra le rôle du père.
L’équipe DÈYÈ MÒN ENFO
Photo-journalistes : Francillon Laguerre, Sonson Thelusma, Andoo Lafond, Milot Andris, Patrick Payin
Comité éditorial : Etienne Côté-Paluck, Jean Elie Fortiné, Jean-Paul Saint-Fleur
Stagiaires : Wilky Andris, Donley Jean Simon
Collaboration spéciale : Jéthro-Claudel Pierre Jeanty, Josué Azor, Stéphanie Tourillon-Gingras, Wilgens Devilas, Mateo Fortin Lubin
Partenaires médiatiques : Centre à la Une, J-COM, Nord-Est Info
Partenaire institutionnel : Kay Fanm, Mouka.ht
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