#43 - L'été musical en Haïti : amour, chagrin et Watson G
Watson G et les musiques de l’été, lancement des HAITI MIXTAPE SESSIONS, hommage à MechansT, DJ Nick au sommet, retour du marché Brooklyn à Cité-Soleil et la route vers le Sud paralysée
En plus des histoires d’amour habituelles, les désillusions ont dominé les succès musicaux de ces derniers mois en Haïti. L’artiste du moment, Watson G, partage ses réflexions avec HAÏTI MAGAZINE dans un numéro spécial consacré à la musique estivale haïtienne.
Tout ça et bien plus dans l’édition #43 de HAÏTI MAGAZINE par DÈYÈ MÒN ENFO, collectif de journalistes et de professionnel·les des médias basé·es en Haïti.
Sommaire #43
Musique des vacances : entre amour et désillusion
Les plus grands succès musicaux des derniers mois en Haïti sont marqués par les thèmes des rapprochements et des déchirements. Les musiques festives ont presque été éclipsées. Si les récits d’amours passionnés ou d’amitiés durables continuent de faire rêver, les difficultés du pays pèsent par contre lourdement sur la psyché collective.
Présent sur scène cet été plusieurs fois par semaine, Watson G est l’une des plus grandes révélations musicales de l’année, et plusieurs de ses titres sont diffusés en boucle. Entre deux concerts, HAÏTI MAGAZINE s’est entretenu avec l’artiste.
Sortie fin mai, la chanson Nou tout ki lakòz [Nous sommes tous responsables] de Watson G est déjà l’un des plus grands succès de l’année, malgré le fait que plusieurs radios musicales de la capitale aient modifié ces derniers mois leur programmation ou carrément cessé d’émettre. « Beaucoup de gens m’ont raconté avoir eu les larmes aux yeux en entendant cette chanson pour la première fois », se souvient le chanteur. Dans Nou tout ki lakòz, Watson G se dit pris entre deux feux : d’un côté, les bandits, et de l’autre, une police incapable de protéger l’ensemble du territoire et qui cible souvent les mauvaises personnes. Le refrain de cette chanson plaide pour que la police fasse son travail.
Sortie en février, son autre grand succès, M nan san (en collaboration avec Wenly Jay), aborde la force de ceux qui « n’ont pas peur des échecs », malgré les grands défis socio-économiques du pays.
Avec plus de 10 millions de vues sur YouTube pour ses trois derniers grands succès, le jeune Watson G est désormais très sollicité à travers tout le pays. Il réside toujours dans sa région natale du département du Nord-Est, à Trou-du-Nord. « Je ressens maintenant l’importance sociale de ma musique », confie le chanteur, qui a débuté sa carrière en 2017. « J’ai l’impression de symboliser l’avenir du pays. »
On reconnaît rapidement dans son style l’influence de Blaze-One et Baky, deux de ses plus grandes inspirations. Ces deux musiciens ont connu plusieurs succès avec des chansons très critiques à l’égard des dirigeants et de la situation du pays.
Amitiés et déceptions : l’année en musique
À l’image des derniers succès de Watson-G, autant la chanson que le rap ont traité cette année des déceptions. Nicko G avait déjà ému le public avec M paka anfòm [Je ne peux pas être en forme] en novembre dernier. Sa nouvelle chanson Mouri deja, sortie en début d’année, raconte le dernier appel téléphonique d’un kidnappé à sa mère : «Tout l’argent qu’ils vont demander, où est-ce qu’on va le trouver ? […] Je suis déjà mort. […] Maman, bye bye, je suis parti. »
De son côté, le rappeur Mada Mada célèbre l’importance de l’amitié et de l’amour fraternel dans No Fake (Love Ak Kè), avec plusieurs artistes invités, dont Watson G, qui entame le premier couplet. Réalisée avec deux autres rappeurs en vogue, Bourik The Latalay et Bando, cette pièce est l’un des plus gros succès du genre depuis sa sortie en avril dernier.
Mention spéciale aussi à Kingstreet, qui a sorti cet été une reprise du Montréalais Leonard Cohen pour rendre hommage à sa défunte mère (Alleluia avec Magic Touch).
Ekip a par ailleurs conquis le cœur des fans du compas cette année avec des chansons sur l’indépendance amoureuse (Dwat nan la ri a avec Kenny Haiti) ainsi que sur la séparation (Separasyon avec Bedjine). Le groupe Nu Look a pour sa part attiré l’attention depuis décembre avec une histoire de déception amoureuse (Mwen Déçu avec Medjy), tandis que Troubleboy Hitmaker et Tafa Mi-Soleil ont évoqué les cœurs brisés sur une mélodie afropop-compas (Brize).
Enfin, le groupe Zafèm et ses deux célèbres chanteurs-compositeurs, Dener Céide et Réginald Cangé, continuent de surfer sur le succès de leur album LAS, paru l’an dernier et considéré comme un chef-d’œuvre du compas. Ils étaient à Jérémie la semaine dernière, quelques jours après être passés à Jacmel, puis dans la région de Port-au-Prince dimanche dernier.
Lancement des Haiti Mixtape Sessions
L’équipe de DÈYÈ MÒN ENFO présente une nouvelle série de balados intitulée HAITI MIXTAPE SESSIONS, avec, pour cette première édition, une sélection des plus grands succès haïtiens de l’année : Gadon Blan Haiti Summer Mix 2024.
Abonnez-vous à ce nouveau balado musical, disponible via RSS ou sur Apple Podcast ici :
Hommage à MechansT
Presque deux mois après sa disparition en mer, nous sommes toujours sans nouvelles du célèbre chanteur et rappeur MechansT. Celui qui a produit l’un des albums les plus populaires de l’année 2023 aurait pris un bateau dans la région des Bahamas, où les autorités locales ont tenté des recherches sans succès le mois dernier. Plusieurs musiciens ont commencé à créer des hommages musicaux à l’artiste. En attendant que son sort soit confirmé par sa famille, toujours à sa recherche, voici certains de ses plus grands succès des dernières années.
MechansT, qui se faisait aussi appeler Big Merch sur certains projets, a produit des titres qui ont connu un immense succès. Avant sa disparition, il semble que Wens Jonathan Désir ait passé plusieurs semaines aux Bahamas.
Au départ, certains proches ont affirmé à Luckson St-Ville qu’il se rendait le 4 juillet dernier à une fête, en bateau avec des amis. Le journaliste haïtien a ensuite pu confirmer que l’artiste aurait plutôt tenté de se rendre aux États-Unis.
MechansT n’a jamais réussi à obtenir de visa pour les États-Unis, malgré de généreux contrats offerts par de nombreux promoteurs pour des performances sur scène.
Après un début de carrière dans le rap, l’artiste a par la suite mélangé les genres, explorant la chanson compas, la pop africaine et des collaborations prestigieuses, notamment avec le chanteur nigérian L.A.X. l’an dernier.
DJ Nick remporte la 1ère édition du concours Guinness Time
DJ Nick a remporté samedi la grande finale du concours national Guiness Time sous le regard attentif de l’animatrice DJ Kemissa et des jurés Gardy Girault, DJ Jack, et DJ Nos. Une grande scène et des effets pyrotechniques avaient été installés pour l’occasion sur la terrasse de l’hôtel Marriott de Port-au-Prince, à côté de la piscine.
Après un premier round de 15 minutes chacun pour les quatre demi-finalistes, deux DJ victorieux sont passés en finale pendant 10 minutes chacun. « La décision a été très difficile », a expliqué DJ Jack en présentant le choix du jury après ces deux performances. « Aujourd’hui, la qualité technique de DJ Nick était supérieure, mais ce sera peut-être DJ Cliff l’an prochain. »
DJ Nick remporte un contrôleur DJ professionnel, une paire d’écouteurs, ainsi que sa propre émission de radio pendant la prochaine année. Il devient également « ambassadeur Guinness » pour un an, ce qui l’amènera à participer à plusieurs soirées.
De son vrai nom Joachim Jules Rahens, il est également le frère d’un autre DJ, aussi musicien célèbre, AlCol.
DJ Nick remporte la première édition du concours "Guinness Time" - Le Nouvelliste
Vidéoclip de la semaine
Kriye - Kenny Haïti
La musique afropop influence grandement les artistes haïtiens. L’un des meilleurs exemples est la ballade Kriye [pleurer] du chanteur Kenny Haïti, sortie fin juin.
Le clip s’ouvre sur un gros plan d’une larme coulant sur la joue de l’artiste, avant le premier couplet : « Quelque chose te fait mal, te stresse chaque jour. C’est tellement difficile, […] tu penses que tu vas devenir fou. »
La détresse psychologique est aujourd’hui très répandue dans le pays, et les paroles de cette chanson rappellent justement les souffrances qui y sont liées, avec une teinte d’espoir.
Le refrain insiste sur le fait que « parfois, il est bon de pleurer, ne te sens-tu pas soulagé ? Plutôt que de se tuer, quand on se sent découragé, il vaut mieux pleurer. »
Pour cette édition spéciale sur la musique, voici une liste de tous les vidéoclips de la semaine depuis l’année dernière :
Cité-Soleil : retour du marché Brooklyn
Après des années de conflit, les « vars » ont été démantelés et le marché Brooklyn a pu rouvrir dans la ville de Cité-Soleil. Situé à l’entrée du quartier du même nom, le marché Brooklyn était toujours fermé malgré la trêve entre le groupe de Gabriel Jean-Pierre (Brooklyn) et ceux du G9 (principalement Boston et Belekou), en place depuis l’an dernier. Alors, depuis quelques semaines, les activités ont repris dans ce marché, l’un des plus importants de la commune.
Les « vars », ces zones de conflit abandonnées par les habitants, suivent les limites des différents quartiers rivaux, et ont par le passé imposé de facto un siège difficile pour les résidents. C’est d’ailleurs dans le quartier Brooklyn qu’ont émergé les premiers cas de choléra en 2022, alors que la maladie n’avait pas été détectée dans le pays depuis plusieurs années.
Un peu plus au sud, face au port de Port-au-Prince, le conflit armé a repris la semaine dernière à La Saline. Des morts ont été enregistrées au sein de deux groupes armés de l’arrondissement, semant la panique chez les habitants. Le groupe de Wharf Jérémie contrôle depuis quelque temps une partie de La Saline, au grand dam de son groupe rival. Le lieu stratégique facilite les attaques sur les camions-remorque à l’entrée du port.
Après la livraison d’une vingtaine de véhicules blindés dimanche, commandés l’an dernier par le gouvernement, la police, l’armée et la force internationale kenyane ont aussi tenté une opération dans les alentours du quartier Bel-Air mardi, tout près.
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Port-au-Prince : la route vers le sud complètement paralysée
Quelques mois après la prise de contrôle en 2021 de la route nationale #2, qui relie Port-au-Prince au reste du pays, les groupes armés ont mis en place un système de péage de fortune. La plupart des voyageurs et des camions ont cessé d’emprunter cette route, en raison du risque élevé de kidnapping, mais le trajet restait possible pour les plus téméraires.
Depuis la nouvelle tentative de prise de contrôle d’une partie de la ville de Gressier par un groupe armé ce mois-ci, la circulation est pratiquement à l’arrêt sur la route nationale vers le sud (après Martissant et Carrefour).
Cette situation a un impact direct sur les prix des aliments, qui augmentent en flèche dans la capitale encore une fois, alors que les producteurs se retrouvent avec de grands invendus dans le Sud.
Une nouvelle route alternative s’est développée par bateau, mais les rues pour se rendre au bas de la ville au quai de Wharf Jérémie peuvent s’avérer périlleuses.
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Clin d’oeil : Cinq Haïtiens nommés Jeunes ambassadeurs des Amériques en Nouvelle-Écosse
Cinq Haïtiens ont voyagé en Nouvelle-Écosse pour participer au Forum des jeunes ambassadeurs de la francophonie des Amériques au début du mois. Parmi eux, le journaliste et auteur Marc Sony Ricot, l’ex-journaliste et opératrice culturelle Laura Louis, ainsi que Ritzamarum Zétrenne, animateur à RFI et responsable de la programmation culturelle à l’Institut français de Port-au-Prince. Ils étaient accompagnés des chercheurs Weldy Saint-Fleur (doctorant à l’Université Laval) et Judith Cenot (Institut du Nouveau Monde). Ensemble, ils ont pris part à une semaine d’activités en compagnie d’une cinquantaine d’autres jeunes leaders francophones des Amériques.
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L’équipe DÈYÈ MÒN ENFO
Photo-journalistes : Francillon Laguerre, Sonson Thelusma, Andoo Lafond, Milot Andris, Patrick Payin
Comité éditorial : Etienne Côté-Paluck, Jean Elie Fortiné, Jean-Paul Saint-Fleur
Stagiaires : Wilky Andris, Donley Jean Simon
Collaboration spéciale : Ketlain Difficile, Josué Visual, Laura Louis, Stéphanie Tourillon-Gingras, Mateo Fortin Lubin
Partenaires médiatiques : Centre à la Une, J-COM, Nord-Est Info
Partenaires institutionnels : Kay Fanm, Mouka.ht
Un merci particulier au Fonds québécois pour le journalisme international (FQJI) pour son appui.
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Revues de presse de la semaine
Revue de presse - Culture et patrimoine
Quand Zafèm séduit le Ritz - Le Nouvelliste
L’écrivain Gary Victor finaliste du Prix Ivoire pour la Littérature Africaine d’Expression Francophone - Le National
La plasticienne Myrielle Pierre Charlier - Le National
« La face cachée d'Haïti » de Boutros Boutros Petit-Car : Une plongée profonde dans l’identité et l’histoire haïtiennes - Le Nouvelliste
Haïti à l'exposition Zombis au Musée du Quai Branly - Le Nouvelliste
D-Singer de retour avec « Ouvè pòt », son premier album - Le Nouvelliste
Dèf Fondamental : Le Kendrick Lamar haïtien avec «Bazik 2» - Le National
Théâtre Toupatou, 10 ans au compteur - Le Nouvelliste
Josma Lawens, le tiktokeur qui donne le sourire - Le Nouvelliste
Zenglen fait son come-back - Le Nouvelliste
Le chanteur Erol Josué à la Biennale Ouidah 2024 arts et cultures vodoun au Bénin - Le National
Pour une sociologie d'Haïti au XXIe siècle de Laënnec Hurbon - Le Nouvelliste
Lancement de la première édition de Port-au-Prince podcast festival - Le Nouvelliste
AlterPresse | Haïti-Culture : Livres en folie toujours au rendez-vous, malgré un climat sécuritaire délétère - AlterPresse
30e édition de Livres en folie: Retour sur la participation des officiels - Le Nouvelliste
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